Venons-en donc décidément à nous persuader que nous sommes des gens d’en bas, des apprentis capables de besognes déterminées. Nos petitesses uniformes seraient si admirables ! Le génie chez le grand est remplacé par la vanité chez le petit. Avouons que nous avons besoin tout au moins d’un peu d’intelligence à défaut de génie.
Et résignons-nous à l’humiliation d’en demander l’aumône aux riches cerveaux de l’humanité d’en haut. Et que mesurons-nous à l’étalon de la moralité ? Maisons publiques, maisons officielles? Bourbiers ! Les plus malins, verrats embusqués dans des formes humaines, en émergent avec quelques paillettes d’or. Mais le sentiment du beau nous faisant défaut, nous n’en savons pas user. Et nous sommes depuis cent ans des jouisseurs avides. Des immoraux, des pédants, des orgueilleux !
Par conséquent, des niais et des réfractaires, voilà ce que nous sommes ! Ayons le courage, l’heure est venue, de nous dénoncer tels à nous- mêmes. Et le 1er janvier 1904, s’il faut quand même faire quelque chose, au lieu de semer les lauriers sur les mânes introuvés de nos aïeux, après avoir passé un siècle à les oublier, à les souiller, à nous moquer outrageusement de leur héroïsme ; au lieu du pourpre et des flammes, nous tendrons un deuil d’un bout à l’autre du pays, en témoignage de notre remords et, la bouche contre terre, tenant chacun un bout de crêpe pendant au drapeau bicolore, nous demanderons pardon à Dessalines, à Toussaint, à Capois, à toute la phalange immortelle de notre histoire.
Pardon de notre ingratitude, de notre esclavage, malgré eux. Pardon de nos folies. Pardon de nos parjures et de notre croupissement. Et nos pleurs plairont mieux à ces dieux que les fêtes bêtes, déloyales et scandaleuses, qu’à contrecœur, par fausse pudeur, nous nous évertuons à leur préparer. Non. Je proteste de toute la force de mon âme. Nous ne fêterons pas, parce que, pour bâcler ces fêtes, étant misérables, chétifs, sans le sou, il nous faudra encore fouiller dans la bourse du paysan et faire manger au peuple la dernière vache maigre.
Nous ne fêterons pas, parce que, tandis qu’au palais, dans nos salons somptueux, nous viderions la coupe au vin d’or et chanterions ivrogneusement l’an sacré 1804, ce paysan dépouillé, ce peuple miséreux pourrait le maudire. Et leurs malédictions en feraient sortir d’autres du sein de la terre. Eh bien donc, un peu de vergogne et travaillons à sortir du stupre de tout un siècle.
Et s’il nous plaît de commencer bientôt, 1904 ne sera la fête de rien du tout, mais la première année d’existence d’une collectivité de braves gens nègres travaillant modestement et moralement à être un peuple. Et la petite république d’Haïti pourra être une immensité en pleine Europe !
Et le vieux continent pourra se préoccuper, en l’an 2004, du premier centenaire de la GRANDE LIBERTÉ du PEUPLE HAÏTIEN !
Indignez-vous enfin!
Mes félicitations à Rosalvo Bobo pour être toujours au goût du jour à travers son portrait de la réalité haïtienne. Et mes remerciements à toi mon ami pour avoir bien titré ton beau texte au contenu salvateur pour les compatriotes désireux de s’impliquer dans cette rude bataille pour redresser la barque de notre chère Haïti.
Pour pouvoir s’indigner, il aurait fallu comprendre l’enjeu de la liberté sur le chemin de la dignité. Et, parvenir à cette compréhension est en soi une rude tâche non attribuable, mais que de vrais leaders doivent s’approprier jusqu’à pouvoir en faire une vision partagée en prenant le devant de la scène avec des flambeaux de revendications sur la route de la stabilité, du progrès et du rétablissement de notre identité acquise au prix de notre sang depuis 1804. Malgré que la route vers notre unité soit bouchée et parsemée de haines et de mésententes entre frères et sœurs, nous avons sur le dos, les acteurs internationaux qui encadrent le système macabre, une mainmise et une sorte de mise en garde à tout contrevenants. Nous nous intéressons pour la plupart à sauver nos épingles du jeu par tous les moyens dont nous disposons. Ainsi la faiblesse nous emparent-elle au beau milieu du champ de bataille. Face à des efforts purement individuels pour fuir et sauver sa peau, il n’y a pas lieu de s’indigner, mais de survivre peu importe les conditions et la situation difficile dans laquelle notre fuite peut laisser nos compatriotes qui ne parviennent pas à rien faire d’eux-mêmes. Cette attitude est une attestation de notre pérégrination constante qui explique ta référence à un texte ancien mais bien nouveau de Rosalvo Bobo afin d’essayer de faire prendre conscience à un peuple désœuvré, démotivé, distrait et qui se résume à sa plus simple expression dans une lutte sans merci qui tend à le détruire sur tous les plans.
Quant à moi je m’indigne beaucoup et je suis encore là au beau milieu des évènements fâcheux. Mais non sans efforts à créer de nouvelle opportunité pour ceux qui veulent avancer dans le sens de nos aspirations communes de peuple libre, solidaire, bon et déterminé à travailler pour une humanité libre et unie comme le veut notre première constitution. Car, je souhaite vraiment que notre bicolores flotte à nouveau et cette fois sur le mât de l’humanité toute entière pour avoir pris naissance dans un refus de vivre dans la petitesse de l’ignorance des peuples qui se disent grands, mais agissant toujours vilement pour défendre leurs intérêts mesquins par l’exploitation des autres peuples par toutes les manières.
Les haïtiens sont tellement malhonnêtes envers eux-mêmes qu’ils n’ont jamais mis ce texte à la disposition des citoyens, cela aurait peut-être provoquer un sursaut de patriotisme, et nous n’aurions pas rater 2004 aussi piteusement, toujours dans des luttes intestines, et n’en serions pas dans cet état plus déplorable contre lequel Rosalvo Bobo aussi bien que Frederik Douglas comme des prophètes nous avaient prévenus.
Nous avons continué dans nos dérives, et, nous voilà ! Résultat désastreux que nous avons obtenu et continuerons à obtenir s’il n’y a pas un sursaut patriotique réel de notre part.
J’attire l’attention sur le seul et vrai mot du texte qui sied bien à ceux qui se font passer pour des hommes d’état du pays :
VERRATS embusqués dans des formes humaines.
Quelle honte !