D’abord, évidemment, dans le champ de l’organisation sanitaire. Paradoxalement, c’est dans ce domaine que la coopération internationale a commencé à se mettre en place dès 1851 avec le premier Règlement Sanitaire International. La réforme de 2005 a renforcé l’indépendance du directeur général de l’OMS mais il faut aller beaucoup plus loin notamment dans sa coordination avec l’OMC.
Le rôle de l’OMS peut notamment être important dans la mise en œuvre de politiques de prévention plus actives. Dès lors que les pandémies n’apparaissent plus comme des risques négligeables, des « Black Swans » pour reprendre l’expression utilisée dans le domaine des risques financiers, alors la nécessité de prendre en compte ces politiques dans les choix publics s’affirme avec force. Le démantèlement, par Donald Trump, de la cellule chargée de la sécurité sanitaire à la Maison Blanche montre que nous n’en sommes pas là.
La crise sanitaire crée peut-être aussi l’opportunité d’une mobilisation nouvelle pour lutter contre le changement climatique. Au-delà des liens entre le climat et la santé publique, les mesures prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie transforment le débat sur les contraintes budgétaires que nous nous imposons comme sur l’encadrement des comportements individuels. Mais il existe aussi un lien avec d’autres domaines de la préservation de l’environnement et en particulier la préservation de la biodiversité. La destruction des écosystèmes par la pollution, la restriction progressive des lieux d’habitat ou les commerces prohibés favorisent les zoonoses comme de nombreux exemples récents l’ont montré.
Mais même si l’on accepte l’hypothèse plausible d’une fragmentation de la mondialisation, ces différentes politiques ne peuvent qu’être globales. Revient alors la question lancinante qui traverse tout questionnement sur les conséquences de la crise sanitaire : y a-t-il une place pour le multilatéralisme ? Et au-delà, peut-on concevoir une action multilatérale qui ne relève pas uniquement des États mais qui se développerait entre les régions voire les grandes métropoles ?
*Un autre paradigme*
_a/ Un changement de la relation entre les États : quel nouvel équilibre géopolitique ?_
Si l’espoir doit demeurer que la crise soit à l’origine d’un renouveau de la coopération au niveau mondial et européen, il est important de scruter ses conséquences plus immédiates sur les relations internationales.
La première découle du vide de puissance que la focalisation sur la crise sanitaire des principaux gouvernements va rendre chaque jour plus visible. Tant qu’ils sont, comme tous, submergés par la pandémie, les groupes armés semblent avoir choisi le repli. Mais dès que les conditions le permettront, nul doute que les conflits repartiront alors même que les grands acteurs de la vie seront surtout concernés par leur situation domestique. On peut craindre que ce soit le cas, en Syrie comme en Lybie au Sahel comme au Yémen. D’autant que de nombreux États ébranlés par la crise auront encore plus de difficulté que par le passé à exercer leurs responsabilités régaliennes.
Dans ce contexte, il est probable que la tentation soit forte pour certains États d’accroître leur influence internationale. La Chine, la Russie dans une moindre mesure, ont déjà saisi cette occasion en distribuant des aides médicales principalement aux pays européens. À l’issue de la crise sanitaire, la compétition idéologique reprendra avec force dans une situation où les populations auront été friandes d’intervention étatique et de pouvoir fort. Coincés entre leur réticence à toute action multilatérale et leur confrontation avec Pékin, les États-Unis vont peiner à éviter une redistribution des cartes, mais bien entendu beaucoup dépendra des élections de novembre. La Chine n’est pas en situation d’exercer un leadership mondial mais il n’est pas certain que les États-Unis en soient encore capables.
C’est donc bien une fragmentation de la mondialisation qu’il est raisonnable d’attendre et ce peut être la chance de l’Europe si elle sait se ressaisir.
b/ La crise de l’être conduira-t-elle à un changement de la relation entre les hommes ?
Pour que les cartes puissent être rebattues, il faut que le risque pandémique imprègne profondément, mais surtout durablement la sensibilité collective mondiale. La métaphore guerrière, qui a été très largement utilisée ne trouve à s’appliquer que dans le temps de la mobilisation : la majorité des études (27) laisse entendre qu’il ne saurait y avoir d’armistice, encore moins de libération. Il s’agit donc non seulement d’un effort de guerre de long terme, mais également, d’une réintégration dans les consciences collectives, de la permanence d’un risque pandémique infectieux. Face à une menace aussi structurante et aussi universelle, il est probable que nous assistions à un changement profond des préférences collectives.
Première évolution probable de nos préférences collectives : le rapport à la temporalité. Entrer dans un monde marqué par l’aléa infectieux suppose de corriger nos carences et de constater notre incapacité, notamment en Europe, à donner une réalité au principe de précaution et à cultiver l’approche préventive. L’embolisation des systèmes de santé des pays développés n’est que le symptôme d’une vision politique de court terme qui se sent prémunie de tout imprévu matériel du seul fait de l’existence de marchés de biens et de services interconnectés et réactifs. Les décisions futures ne pourront s’exonérer d’une inscription, notamment budgétaire, dans le temps long ni d’une approche stratégique systématisée des différents pans prioritaires de la vie des populations.