La manbo
Damida n’avait pas tout compris, mais sa hâte d’entendre la fin de l’histoire l’empêcha de s’attarder sur cet éclaircissement de cadavre vivant.
“-Yeeeee kriiiiiik! reprit le troubadour Haïtien.
-Yeeeee Kraaaaaak!
Ounfó, temple voudou.
-Malice alla au « ounfò du village » (temple du Vodou) trouvé le grand « oungan » (prêtre) Bréfort. Celui-ci le conduisit à la manbo (prêtresse) Espérancia, une belle femme toute en rondeur, vêtue d’une large robe brodée blanc couleur de l’innocence, à qui il raconta l’état de Bouki.
-Ah! Si ce n’est pas malheureux! “Dan pouri gen fòs sou bannann mi.” (Il est facile de se montrer fort avec les plus faibles.) Dans l’accra que Bouki a mangé au festin de ce couillon de Louwa, il y avait de la datura haché. La datura est un poison violent aussi appelé pomme épineuse. Si on n’en meurt pas, cette plante suce l’âme et enlève toute volonté et tout pouvoir. Les profiteurs sont méchants, affirma la manbo en fronçant les sourcils. Est-ce que tu comprends maintenant ce qu’est un zombi Damida? ajouta M. Alexis.
La petite fille se souda les lèvres et n’émit un couic, de peur que M. Alexis ne prolonge son explication qui retarderait la fin du récit à suspense.
“-Comment lui redonner son âme Je suis prêt à faire le nécessaire pour le ressusciter, pleurnicha Malice. Des larmes noyaient ses yeux avant de chuter sur son tricot de peau déjà tâché.
La manbo Espérancia lui tendit un morceau de toile brodée pour se moucher et reprit son commentaire:
-Normalement, ce n’est pas possible de le faire revivre. L’esprit de ce poison est redoutable, mais moi Espérancia (elle se battit la poitrine) je l’ai déjà maîtrisé en le buvant moi-même dans du lait de cabri tout en gardant mon loa (esprit) avec l’aide du « Granmèt » (Dieu). Il est tout puissant, dit la manbo Èspérancia très sûre d’elle.
Elle se leva, fit deux pas, empoigna ses hanches de ses deux mains, regarda le ciel et dit:
-Je convoquerai mes fidèles. Notre religion Vodou n’est pas sorcier. Nos rites sont des appels musicaux à nos Dieux ancestraux. C’est tout. Ne te fais pas de soucis pour ton Bouki. Nous lui ramènerons son « Gwo bonnanj » (l’âme qui anime le corps humain). Pour cela tu dois nous promettre Malice de ne plus faire du mal à ton ami. Un ami n’est pas un bouc émissaire et encore moins un goûteur de mangé. Et tu dois t’engager à ne pas révéler le secret de notre cérémonie, afin d’éviter des malentendus. “Mouch pa antre nan bouch ki fèmen” (Les mouches ne rentrent pas dans une bouche fermée). Nous en avons déjà assez que notre religion soit décausée, dénigrée et décriée par ce monde d’ignorants. Tu dois donner ta parole d’honneur au nom de la résurrection de ton ami. Sois bienheureux que nous te faisons confiance malgré ton attitude envers Bouki.
-Malice se mit à genoux, prit les mains de la manbo et les embrassa en lui promettant tout ce qu’elle voulait.
-D’accord! D’accord Manbo! Je jure, je jure.
Le poto mitan
L’Haïtien se tint un instant le menton et se frotta les yeux.
“Un mercredi de pleine lune, Manbo Espérancia suivie d’une queue de personnes qu’on ne pouvait décrire dans la pénombre de la lune éclipsée, se retrouvèrent au lieu indiqué.
-Commençons par honorer Papa Legba, dit la Manbo solennellement en faisant appel à ceux qu’elle présenta comme des « ounsi » (Joueurs d’assotors, mais aussi servants et servantes du temple).
-Ils vont battre les trois « assotors » du temple (tambours sacrés) chuchota-t-elle.
Tous commencèrent à chanter autour du « poto mitan »: un mât au milieu du temple qui polarise les énergies de la terre au ciel. Tout a un centre, un cœur, un milieu, un noyau. Le potomitan est le pylône de l’esprit de concorde, le centre du TOUT. Le son des tambours et les chants adressés à Dyò (Dieu), rafraîchissaient la canicule.
“Papa Legba
Ouvri bayè pou mwen
Agwe
Papa Legba
Ouvri bayè pou mwen
Ouvri bayè pou mwen pase
Lè mwen rive
Ma va remèsye lwa yo
Papa Legba”
(Ouvre moi la barrière
Salut à toi Legba
Ouvre moi la barrière
Ouvre moi les portes de la Sagesse
Lorsque j’y serai
Je remercierai tous les esprits.)
La voix claire, forte et nostalgique de Jean-Daniel Alexis grimpait la touffeur de l’après-midi vers la voûte céleste. Le glaive du mal du pays lui perçait l’organe de l’amour qu’est le cœur. Que Gonaïves lui manquait! “L’Haïtien est constamment imprégné de l’âme de son pays qui est son obsession. J’aime et chérirai toujours Haïti.” aimait-il à dire.
“-Malice chanta avec eux jusqu’à s’égosiller. Sa voix se cassa.